lundi 12 mai 2008

Yves Borredon, de l'ombre à la lumière

Depuis l'âge de seize ans, cela fait cinquante ans qu'Yves Borredon peint : sans relâche, avec passion. Passion pour Bernard Buffet, le maître admiré, dont les oeuvres lui parlent depuis son plus jeune âge. Passion car Yves ne fait pas les choses à moitié, a donné toute son énergie pour la peinture, pour transformer ce don indéniable, l'aptitude et le goût pour le dessin, en une maîtrise d'un art difficile, nécessitant une longue maturation. Passion car il y a mis de son coeur, y exprime ses états d'âme, tourments et inquiétudes, et aussi le plus beau de lui-même, ses émotions et sa générosité.

La générosité de la peinture d'Yves Borredon, c'est ce qui m'a le plus frappé en découvrant ses tableaux, les plus récents, ses marines, les compositions de bateaux : le trait est ample, sûr, donne un mouvement, les couleurs sont abondantes, la lumière jaillit largement.
Le thème des bateaux fait l'objet de multiples toiles, et ils sont toujours nombreux, en groupe, sauf les bateaux abandonnés, cassés, qui sont solitaires (ou quelquefois à deux).

Les tableaux d'Yves ont quelque chose de direct, qui parle au premier coup d'oeil, comme un visage avenant. La couleur franche y est pour quelque chose, ainsi que la reconnaissance immédiate de la réalité : ce n'est pas de l'art abstrait. Cependant il ne s'agit nullement de reproduire, de photographier, c'est bien une interprétation, une reconstruction du réel. Elle s'exprime par le choix des couleurs, mais aussi et surtout par l'utilisation de formes et de lignes géométriques, que le regard du peintre traduit comme pour apprivoiser la réalité complexe. La géométrie est utilisée avec douceur et fait beaucoup appel aux courbes, pour en atténuer la rigueur ; la rigueur n'est pas le propos, elle est présente mais n'étouffe pas la liberté de ton.
Je lis dans ces compositions de bateaux la joie de vivre, le rêve et l'évasion : ils sont stylisés, simplifiés, une coque elliptique, une voile triangulaire, ils flottent en groupe, les couleurs, vives, posées par touches comme par jeu, rendent l'ensemble léger et joyeux comme une chanson enfantine : « Maman les p'tits bateaux qui vont sur l'eau ont-ils des jambes ?.. »

Mais ils peuvent aussi être terribles : alignés et rapprochés, parallèles, comme un mur sur l'eau, ils portent toute l'angoisse et la souffrance de la dureté de la mer envers les marins, comme dans cette « composition au ciel rouge », à la mer noire, où les bateaux aux formes acérées ont perdu leur couleur, un tableau superbe, où l'interprétation est à son maximum, sans doute parmi mes préférés.

Loin aussi de la chanson joyeuse, les tableaux de carcasses abandonnées, bateaux solitaires, sont pleins de nostalgie et de compassion ; ils ne sont pas tout à fait tristes pourtant, j'y vois plutôt une réflexion, grave mais sereine, sur le temps qui passe.

Mais revenons un peu en arrière, car le temps qui s'écoule a fait évoluer la peinture d'Yves Borredon, au fil des années de travail, de l'approche et la maîtrise de différents sujets et techniques, et bien sûr, plus inconsciemment sans doute mais profondément, selon son parcours de vie et son état d'esprit.

L'influence de l'admiration pour Bernard Buffet se fait sentir, à travers toute l'oeuvre d'Yves, par l'usage du trait noir marqué un peu fumé, mais pas seulement, surtout au début ; les premières années (1959-67 environ), la couleur est rare, les thèmes sombres : barreaux, corps nus tristes, à la tête penchée ou perdus dans l'immensité du décor, portraits graves, au regard soucieux même quand ce sont des clowns...

Quand la couleur surgit, elle est jetée comme un cri, une colère, et les titres des toiles sont éloquentes : « le Désespoir », « Vengeance », « l'Homme brûlant son âme » (1960)...

Yves a vingt ans, pas forcément un âge facile, entre révolte et tourments, selon les mots célèbres de Nizan : « Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie... »

Il met en peinture des événements ou scènes marquantes, par un angle d'approche percutant : gros plan sur des casques de policiers lors des manifestations de mai 1968, tableau plombé de traits accidentés pour évoquer « la route »(1965)...

Mais peu à peu l'artiste cherche à évoluer, d'autres thèmes arrivent : les premiers bateaux (1964), et des papillons (1972-73), pour travailler la couleur par petites touches.

Et puis les églises de Thiérache (1977-80), sa région natale, du nord de la France : ces églises fortifiées, sous le pinceau d'Yves, sont majestueuses, imposantes. Dans ces tableaux la troisième dimension apparaît, le relief prend forme, la géométrie de l'architecture, mise en valeur par les lignes tracées en noir, sacralisée un peu à la manière d'un vitrail, fascine.

Pour aborder autrement la couleur, il va traiter un autre thème classique, un peu comme un passage initiatique, les bouquets de fleurs (1980-85). Ses bouquets sont fins, précis, à quelques détails ici ou là on retrouve le style de leur auteur : un fond sombre, un trait noir aux contours un peu estompés pour appuyer les formes, un soupçon d'inquiétude avec une fleur qui s'incline...

Une série de bateaux de 1984, barques ou petits cotres, est différente des autres et m'a intriguée : ils n'ont pas de voile, sont à terre, attachés, vus du dessus... Ils montrent leur fond, vide, et leur ombre, noire. Le ciel est gris, l'horizon net, barré, les couleurs rares ; le trait noir souligne chaque détail. J'y vois comme une impossibilité de s'évader, ou peut-être une envie de dominer le sujet ? J'aime cette série même si je la trouve très mélancolique.

D'autres sujets me touchent moins, mais ils ont un intérêt d'étude : une série de bouteilles et flacons (1985) joue avec les formes, la transparence ; les structures cubiques (1988), particulièrement soignées, sont un beau travail de précision sur les lignes géométriques, les camaïeux de couleurs.

Et puis tout au long de son parcours, Yves Borredon réalise des portraits : autoportraits à différentes périodes, hommage comme ces portraits de Brassens, figure émouvante comme un clown, une femme.

Ils ont souvent une ressemblance plus ou moins marquée avec le peintre. Leur regard impressionne, noir en général, profond, presque toujours inquiet.

Comme pour trouver la lumière venant de l'extérieur, Yves réalise des tableaux d'après des peintres admirés : Cézanne, Hilaire...

Celui « d'après Toffoli »(1996) est à cet égard saisissant : la lumière fuse tandis que les visages, sans yeux mais dont on perçoit les regards, convergent vers sa source.

De 1990 à 1997, Yves peint une série d'aquarelles et de tableaux sur la ville où il demeure alors, Laon, en différents angles de la ville, à divers moments ou saisons. Les aquarelles sont remarquables par leur luminosité ; les tableaux, très élaborés, montrent une recherche précise, quasi impressionniste, sur la couleur et le traitement de la lumière sur la neige par exemple, si difficile à saisir et à rendre...




A partir de 2000, c'est la période Pornic, où le peintre s'est installé : les tableaux sont beaucoup de marines, paysages de Brière, bateaux colorés au port ou en mer, vieux gréements ou coques abandonnées...

Les compositions de bateaux ont trouvé un style très personnel, le trait est vif et sûr, les couleurs franches, les formes résolument stylisées, le mouvement de la voile joue sur la transparence et l'élan vers plus haut, plus loin. La lumière les inonde, elle met de la profondeur et du relief, capte le regard, donne envie de s'y attarder.


La lumière est présente aussi dans les paysages de bord de mer, château de Pornic, marais salants, pêcheries sur fond bleu et or, ou ce « Sous-bois en automne » (2005) qui a ma préférence, tant il est lumineux et prête à rêver, ses branches déroulées comme des cheveux de fées...

Comme l'univers sombre et tourmenté des premières toiles semble loin ! A travers un parcours si riche, techniquement et humainement, l'artiste peut se permettre les sujets les plus variés, il est passé de l'ombre à la lumière, il semble avoir trouvé sa voie... et sa voix, peut-être, car Yves depuis quelques années chante aussi : mais ceci est une autre histoire...

Catherine
mai 2008

Liste des tableaux :

1/ Composition les bateaux autour du château, 2008

2/ A marée basse, 1998-2004

3/ Composition au ciel rouge, 2006

4/ Carcasses de bateaux

5/ Le penseur

6/ Les mains aux barreaux, 1962

7/ Le désespoir, 1960

8/ Souvenir de mai 68, 1968

9/ La route, 1965

10/ Eglise de Tavaux, 1980

11/ Les capucines, 1985

12/ Petits bateaux à quai, 1984

13/ Structure cubique décroissante, 1988

14/ Portrait, 1971

15/ Portrait de Brassens, 1981

16/ D'après Toffoli, 1996

17/ LAON la porte d'Ardon, aquarelle, 1996

18/ Effet de lumière sur la cathédrale de Laon, 1991

19/ LAON La cathédrale sous la neige, 1991

20/ Pornic vu à ma manière

21/ Marais salants, 2005

22/ Pêcherie près de St Nazaire, 2006

23/ Sous-bois en automne, 2005


- Un diaporama à voir sur la page Myspace d'Yves :
http://www.myspace.com/borredon

- Une page d'expo (marines) : cliquer sur "galerie virtuelle"

- Suite, sur Yves, ici : Yves Borredon, les couleurs de la vie, nouvelles toiles

9 commentaires:

Réverbères a dit…

Je ne connais pas grand chose à la peinture… mais Yves nous fait de très belles choses… et toi, de très jolis commentaires qui enrichissent son œuvre.

Nous avons "connu" Yves quasiment en même temps, mais je connais surtout ses chansons qui révèlent une belle sensibilité. Mais il est avant tout peintre, je crois.

JPK a dit…

J'avais déjà été visiter le site de Yves. Mes préférées sont les bateaux devant le château.

Anonyme a dit…

Cath, un tout tout grand merci pour cette belle découverte. Je ne connaissais pas ce peintre et vraiment, je te remercie. (Oui, je sais, je l'ai dit deux fois... mais j'en ai perdu les mots).

Anonyme a dit…

J'en rougirais presque tant les
mots de Cath me vont droit au
coeur.Je connaissais un peu Catherine pour apprécier ses dons
d'écriture.Depuis cette chronique
fouillée ,sensible et d'une pertinente analyse il me semble que
je la connais plus ... Je suis fier d'être son ami.

.

Marlène a dit…

C'est un merveilleux hommage que tu rends à Yves........ Un vrai artiste, je suis fan de ses toiles mais j'adore particulièrement son champ de coquelicots, un vrai coup de coeur......Le chanteur est extra aussi et vous avez fait de très belles chansons tous les deux, vous êtes complementaires et j'espère que vous allez poursuivre et nous faire découvrir de nouvelles chansons. Et puis Yves est un Monsieur super, un véritable ami, très présent quand on a besoin, à notre écoute. Je suis très fier d'être son amie mais je suis enchantée d'être ton amie Catherine. Tu as une écriture exceptionnelle, merci pour ce très bel article sur notre ami commun Yves! Merci Catherine et bisous

Cath a dit…

Merci Marlène, je suis heureuse que tu apprécies la peinture d'Yves, qui a tellement à raconter ! Merci de tes mots.
La suite, si tu veux, est ici :
Yves, nouvelles toiles.

Anonyme a dit…

Je me balade ce soir un peu de çi de là...Au court de ma promenade...Un clic et hop! j'arrive sur cette page Grains de sel.....Yves Borredon et son univers pictural...Mes yeux parcourent se blog et ils ne peuvent penser autrement que par le coeur de se qu'ils ressentent....de l'émotion !!
Cette émotion est vehiculée entre les qualités de chacun....l'un peintre et Artisant chanteur comme il se plaît a se nommer et l'autre moitié une femme remplie d'une belle écriture qui sait trouver les mots..."les mots justes"...justes beaux de ce qu'ils sont...Bravo! a tous les deux de ce partage ...de votre partage!
Domistria

Cath a dit…

Ravie de ton passage ici, Domistria ! Merci de t'y être arrêtée.
Justement Yves expose à partir de cette semaine, et jusqu'au 9 août, à Pornic : alors si tes pas te mènent jusque là... :)

Unknown a dit…

Merci Yves de m'avoir suggéré ce site ! C'est tout simplement magnifique d'avoir accès à tes peintures. Je ne sais pas tenir un crayon et encore moins un pinceau, je ne suis pas davantage critique d'art, mais j'aime laisser place à mes émotions en matière d'art, que ce soit la peinture, la sculpture ou la musique. Et tes peintures me parlent d'un monde qui me convient ! Bises et à bientôt.